Le Tai Chi ou l’art de transformer
Le Tai Chi Chuan 太極拳 (parfois transcrit tai ji quan) est souvent abrégé Tai Chi dans le langage courant. Il signifie littéralement la boxe du Tai Chi, soit la boxe du faîte suprême. Initialement technique d’autodéfense, cet art martial chinois interne s’exprime dans la lenteur et la souplesse. Derrière une apparence extérieure de danse harmonieuse, l’enchaînement ou la forme de Tai Chi est en réalité une alternance d’attaques et de défenses.
Il existe plusieurs styles et formes de Tai Chi, qui diffèrent dans leur exécution. Au delà de la forme, l’essence du Tai Chi est la même. Elle repose sur des principes que l’on retrouve entre toutes.
A quoi ressemble le Tai Chi?
Une petite vidéo vaut mieux que mille mots. Désolée pour ceux qui aiment la couleur et les films en haute résolution, j’aime les antiquités. Et j’adore ces vieilles vidéos, en noir et blanc toutes scratchées de partout et qui grésillent 🙂
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Le Tai Chi , art de santé et de longévité
Le Tai Chi a d’abord été cultivé comme technique de combat et transmis de génération en génération avec une aura secrète. Ses aspects thérapeutiques et « sportifs », et sa considération comme art de longévité ne sont apparus que plus récemment.
La détente, le travail sur la coordination et l’équilibre, l’harmonisation de la respiration en font un allié majeur pour entretenir sa santé physique et mentale.
En outre, le Tai Chi est aussi dit art de longévité, ou technique pour prolonger la vie et le non-vieillissement [4]. De par son travail intérieur sur le souffle, l’énergie et l’esprit, la place que tient la respiration, il présente des aspects similaires aux techniques de longévité des taoïstes.
Le Tai Chi, éloge du souple et du faible
Le doux l’emporte sur le dur, le souple sur le rigide.
« Il n’y rien dans le monde de plus souple et de plus faible que l’eau ; mais pour attaquer ce qui est dur et fort, il n’y a rien qui la surpasse. » [1] (chapitre LXXVIII).
Parce qu’elle est « souple », l’eau s’adapte à son environnement, à ce qui la contient. Elle n’a pas son pareil pour s’insinuer dans les espaces, les interstices et sculpter la roche dure et forte. Dès lors, cette faiblesse et cette souplesse qui la caractérisent lui permettent de l’emporter sur le dur. Le faible devient fort, le fort devient faible. Tel est le mouvement de la vie, constante transformation d’une qualité en son opposé.
« Le relâchement amène la souplesse. Au sein de la souplesse réside la force ». Gu Liu Xing
Le Tai Chi ou art martial interne
Une des caractéristiques du Tai Chi est qu’il s’agit d’un art interne. Ainsi, pratiquer le Tai Chi ne nécessite pas l’usage de la force (musculaire). Contrairement à cette dernière, le travail interne est lié au subtil, au non-visible, au non-matériel, à la pensée (l’intention) pour diriger le souffle et manifester ce qu’on recherche dans le mouvement.
Expression dans le mouvement
Souvent, l’usage de la force musculaire réduit le mouvement à l’action mécanique et à la notion de performance physique. D’une part, l’emploi de la force physique focalise tout notre être sur la partie matérielle, le visible et l’effet physique recherché. Sa manifestation sous forme de puissance, force, douleur est une sensation peu subtile. Dans cet effort, il devient alors difficile d’apprécier le subtil et le léger. D’autre part, cette « tension physique » ne permet pas l’expression de toute la potentialité du mouvement en Tai Chi. Comme le Yin et le Yang, la dimension physique (musculaire, externe) du mouvement a sa contrepartie (non-matérielle, interne).
Le non-usage de la force musculaire offre ainsi un terreau riche pour rechercher cet « autre chose ». L’impulsion, l’intention et la finalité sont des vecteurs de mouvement qui ont une origine différente que la « simple force ». De plus, dans la détente, le mouvement, et ce qui le traverse, a la possibilité de s’exprimer entièrement.
Aller au-delà de la forme
Cela ne signifie toutefois pas que la structure physique du corps et les muscles n’entrent pas en jeu. Au contraire, cette structure (colonne vertébrale, bassin, posture, alignement, etc.) est le support nécessaire du non-matériel pour donner naissance à des mouvements qui ne se limitent pas à une simple gymnastique et qui vont au-delà de la forme.
Le Dao, le Yin et le Yang
Dao 道
Au commencement de l’Univers était le Dao 道(« la Voie, le Chemin »), là d’où tout provient et où tout va.
« La Voie engendre Un ; Un engendre Deux ; Deux engendre Trois, Trois engendre tous les êtres. Tous les êtres portent sur leur dos le yin (l’obscurité) et serrent dans leur bras le yang (la lumière). Le Souffle du vide maintient l’harmonie. » [1] (chapitre XLII).
Le Dao qui peut être nommé n’est pas le vrai Dao. « La Voie qui se laisse exprimer n’est pas la Voie de toujours » [1]. Difficile de dire plus de ce Dao qu’on ne peut définir avec des mots, sous peine de le limiter, alors qu’il est sans limite, sous peine d’avoir l’illusion de le saisir, alors qu’il est insaisissable.
Meilleure définition: le traité de Lao Tseu, le Tao Te King, pour s’en imprégner.
Ou écoutez cette émission radio (une heure de temps) entre les spécialistes Catherine Despeux et Jean Lévi :
Yin 陰 et Yang 陽: Une vision relative du monde
« […], le mécanisme créatif est ainsi résumé : « Une fois Yin, une fois Yang, voilà donc le Dao » [2].
Dans le cercle du Tai Chi 太極—le faîte ou l’unité suprême—sont réunis le Yin 陰 et le Yang 陽, éléments fondamentaux de la culture taoïste. L’un noir, l’autre blanc, le Yin et le Yang décrivent deux qualités complémentaires opposées que l’on retrouve dans toute chose.
Tout (éléments, phénomènes, matières, etc.) peut être décrit au travers de ces deux qualités ou « énergies » relatives. Le Yin est manifesté dans la Terre, le principe féminin, l’obscurité, la lune, le lourd, le trouble, alors que le Yang est représenté par le Ciel, le principe masculin, la lumière, le soleil, le léger, le clair, etc. En cela, cette vision du monde dichotomique blanc-noir apparaît d’une simplicité enfantine, voire presque réductrice. Cependant, il suffit de plonger un peu plus profondément dans la philosophie chinoise pour s’apercevoir de la richesse et de l’intelligence subtile de cette vision.
Yin 陰 et Yang 陽: L’origine du mouvement
Au sein même du Yang se trouve le Yin (le point noir au milieu de l’espace blanc), au sein du Yin, le Yang (le point blanc au milieu du noir). Parce qu’elles sont relatives, ces deux qualités sont inséparables l’une de l’autre. Elles traduisent un équilibre sous forme de complémentarité et d’opposition. Puisqu’elles s’influencent mutuellement, elles interagissent et entretiennent une relation de transformation réciproque. Et c’est bien de cela qu’il s’agit, une manière de décrire le monde de manière relative et complémentaire; non dans une vision figée, mais en mouvement perpétuel.
« La seule chose qui ne changera jamais, c’est que tout est toujours en train de changer » [3].
Le Vide et le Plein, la Gauche et la Droite, le Haut et le Bas. Le Haut ne peut exister sans le Bas, le Bas sans le Haut.
On retrouve ces éléments fondamentaux de la philosophie chinoise dans le Tai Chi. Le Yin, le Yang, l’unité, la complémentarité sont présents tout au long de la forme. Dans chaque mouvement, on retrouve aussi bien le haut et le bas, que la gauche et la droite, l’avant et l’arrière, le lourd et le léger, l’ouverture et la fermeture, l’inspir et l’expir, etc.
Le Tai Chi ou l’art de voir la Vie autrement
Jean-Luc Perot, un professeur que j’apprécie beaucoup, m’a dit un jour:
« Au début on dit qu’on fait du Tai Chi. Après, c’est le Tai Chi qui nous fait ».
Au fur et à mesure, la philosophie qui imprègne cet art s’étend à la manière dont on interagit avec le monde. Le Tai Chi emplit la vie, et, à sa façon, dans un non-agir des plus total, nous transforme de l’intérieur.
Transformer, c’est passer du plein au vide, du dur au souple, dans une constante recherche d’équilibre et d’harmonie. Transformer ou savoir accueillir la transformation pour maintenir cet équilibre subtil qu’est la Vie.
SOURCES
[1] Lao tseu, Tao Te King, traduit et commenté par Marcel Conche, éditions Presses Universitaires de France, 2003.
[2] Sanyuan, Dao, A la découverte de la culture taoïste , éditions SIDES-IMA, 2005.
[3] Cyrille J.-D. Javary et Pierre Faure, Yi Jing, Le Livre des Changements, éditions Albin Michel, 2012.
[4] Catherine Despeux, « Taiji Quan, art martial, technique de longue vie, éditions Guy Trédaniel, 1981.